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octobre 2015

30.10.2015

Le Commandeur tout-puissant…malgré lui.

Les élections politiques n’obéissent pas aux mêmes règles que les votes en assemblée générale. Des actionnaires viennent d’en faire l’amère expérience…

Certains esprits chagrins, voire malveillants, font, en effet, valoir que des édiles peu scrupuleux omettraient de rayer des listes électorales leur défuntes ouailles qui, pour certaines d’entre elles, prendraient néanmoins part, d’un au-delà que nous leur souhaiterons clément, à certains scrutins. Si tel est le cas, c’est peut-être, répondront d’autres, l’expression, en démocratie, de la permanence de la Nation, transcendant les générations, celle de la volonté immanente du peuple, figuré par un Commandeur, dont la main de marbre appose un vigoureux et salvateur paraphe sur la liste électorale.

Sauf à ce que ces émargements post mortem soient suffisamment nombreux pour changer le cours des choses, l’élection n’en sera pas moins valide.

Il en va désormais différemment en matière de droit des sociétés. Par une décision du 8 juillet 2015, la Cour de cassation vient de le souligner de manière cinglante.

Certes, en l’espèce, le mort n’avait pas personnellement pris part à l’assemblée, mais ses héritiers avaient cru pouvoir le faire alors même qu’ils n’avaient pas été agréés en tant qu’associés comme le prévoyaient pourtant les statuts.

Le défunt était extrêmement minoritaire et le vote de ses héritiers ne pouvait pas changer le résultat du vote.

Un autre actionnaire minoritaire entendit tirer argument de ce vote des héritiers pour obtenir en cascade l’annulation des résolutions au vote desquelles ceux-ci avaient participé…..ce qu’il obtint…

La Cour de cassation annula la résolution en question, laquelle portait nomination du gérant.

La portée de cette décision, rendue à propos d’une société civile, est considérable.

Il faut, en premier lieu, souligner que cette décision est transposable à toutes les formes de sociétés, qu’elles soient civiles ou commerciales.

Il faut, en second lieu, pointer le fait qu’il peut exister d’importantes incertitudes sur la détermination du titulaire du droit de vote :

  • tel est le cas dans nombre de situations dans lesquelles les droits afférents aux titres ne sont pas concentrés sur un seul et même individu : démembrement du droit de propriété, existence d’un droit de jouissance. Dans combien de sociétés, notamment familiales, ne permet-on pas à tous les indivisaires ou titulaires de droits démembrés de voter ? Dans combien de sociétés n’y-a-t-il pas de clause dans les statuts desquelles la répartition des droits de vote entre nus-propriétaires et usufruitiers ne soit pas d’une validité douteuse ? Loin de couvrir un risque de nullité, la participation de tous au vote crée dorénavant un cas de nullité ;
  • tel peut être aussi le cas, lorsque le titulaire du droit de vote change rétroactivement, notamment en cas de résolution d’une vente ou d’une donation. On peut imaginer que tel pourrait devenir le cas lorsque la validité des pouvoirs de représentation d’une personne morale à l’assemblée, est remise en cause ;
  • tel serait également le cas si la validité de l’agrément d’un associé était remise en cause ;
  • tel serait enfin le cas si un vote par correspondance ou une procuration était pris en compte alors que l’actionnaire en question était, entre temps, décédé. De l’au-delà, cet actionnaire défunt, surgissant, par son vote, tel un Commandeur au festin de Dom Juan, au buffet d’accueil des actionnaires, attirerait vers les enfers, chacun des mandataires sociaux et ses propres héritiers avec eux !

C’est ainsi une véritable boîte de Pandore qu’a ouverte la 3ème chambre civile de la Cour de cassation.

Le principe de sécurité juridique qui préside au régime des nullités en droit des sociétés est ainsi violemment mis à mal.

Il ne reste plus, dans l’immédiat, qu’à inciter chacun des membres du bureau de toute assemblée, tenu, en tant que tel, de certifier l’exactitude de la feuille de présence, d’y regarder à deux fois avant d’accepter de telles fonctions et à prier pour que sa responsabilité personnelle ne soit pas mise en cause.

A plus long terme, on ne peut qu’espérer que la chambre commerciale de la Cour de cassation adoptera une analyse différente, plus conforme à la volonté du législateur et que la Cour unifie alors sa jurisprudence.

Nul ne serait sinon à l’abri, plusieurs années après le vote d’une résolution, du retour vengeur d’un actionnaire contrarié.