La raison du plus fort…
L’actionnaire minoritaire d’une société prospère, fort de la protection de statuts « en béton », voire d’un pacte d’actionnaire rigoureux, coulait des jours paisibles…jusqu’au jour où il se trouva fort dépourvu lorsque la ruse fut venue…La ruse …d’un actionnaire majoritaire peu scrupuleux… mais avisé quant aux possibilités que lui offrent le droit des sociétés et l’interprétation, parfois fluctuante, qu’en fait la jurisprudence.
Il faut ici rappeler que, s’agissant de sociétés commerciales, si les actes ou délibérations modifiant les statuts peuvent être annulés s’ils violent une disposition législative « expresse » du Code de commerce, les autres actes ou délibérations ne sont annulables qu’en cas de violation d’une disposition législative « impérative » du même Code. Autrement dit, la condition d’’« impératif » étant plus rigoureuse que l’« expresse », autant violer les statuts plutôt que de tenter de les modifier frauduleusement…
Pour les sociétés civiles, les règles ne semblent guère plus protectrices des droits du minoritaire puisque l’article 1844-10 du Code civil énonce que « la nullité des actes des délibérations des organes de la société ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent titre ».
Autrement dit, dans un cas comme dans l’autre, peu importe ce qui figure dans les statuts s’il ne s’agit pas d’une disposition impérative de la loi. Les autres violations ne sont sanctionnées que par des dommages intérêts : en pratique, cela signifie que l’actionnaire doit prouver avoir subi un préjudice, prouver le quantum de ce préjudice et le fait que celui-ci est dû à la violation des statuts incriminée. Bien difficile et largement illusoire : au mieux, si ces obstacles sont surmontés, d’hypothétiques indemnisations peuvent-elles intervenir cinq à huit ans plus tard, une fois les procédures judiciaires achevées.
C’est ce qu’a appris à ses dépens l’associé minoritaire d’une SARL victime d’un coup d’accordéon décidé, en violation des statuts, à la majorité simple. La Cour de cassation a refusé de prononcer la nullité de l’opération, considérant que l’article L.223-30 du Code de commerce ne sanctionnait pas par la nullité la violation des règles de majorité.
La difficulté est, en effet, de déterminer ce qu’il faut considérer comme « disposition expresse » ou « dispositions impérative » et le moins que l’on puisse dire est que nous avançons sur un terrain mouvant par une nuit d’encre. Quelques lumignons peuvent cependant nous éclairer au fil des textes et des décisions intervenues.
Le premier est l’article L. 227-9 du Code de commerce relatif aux sociétés par actions simplifiées. Celui-ci énonce que « les décisions prises en violation des conditions de validité des décisions collectives peuvent être annulées à la demande de tout intéressé ».
En ce sens, cette disposition permet à l’actionnaire minoritaire de disposer d’une protection forte : les actes pris en violation des statuts seront, en principe, annulées. En principe… car on voit parfois les tribunaux prendre de bien curieuses libertés avec ce texte. A ce titre, la cour d’appel de Paris ne fait pas exception puisqu’elle a récemment refusé de faire application des règles statutaires de majorité renforcées nécessaires pour prononcer la révocation du dirigeant….tout en sanctionnant l’absence de motif légitime alors que les statuts prévoyaient sa libre révocabilité….
S’agissant des autres formes de sociétés commerciales, c’est de manière chaotique que les cours apprécient le caractère impératif, ou non, de la stipulation violée. L’unification par la Cour de cassation est nécessairement lente et fragmentaire.
Par une décision du 8 juillet 2015, la Cour de cassation vient d’apporter des précisions intéressantes : elle a considéré que la règle légale de l’unanimité pour la modification des statuts des sociétés civiles est impérative et que, subséquemment, lorsque les statuts y dérogent – ce qui est licite – la méconnaissance des règles statutaires de majorité renforcée requise pour la modification des statuts est sanctionnée par la nullité.
Dans cette affaire, la cour d’appel avait donc à bon droit annulé pour abus de majorité une augmentation de capital sans prime d’émission effectuée dans le seul but de spolier le minoritaire à la veille de la vente de l’unique actif de la société et annulé, pour les motifs ci-dessus indiqués, les modifications statutaires apportées au mépris des règles de majorité contenues dans les statuts.
C’est là, au moins dans le principe, un grand progrès pour la protection des droits des minoritaires qui trouvent ainsi, dans la société civile, une forme sociale susceptible de leur offrir une protection face aux visées prédatrices d’un majoritaire. Encore faut-il rappeler que, là encore, de nombreuses années s’écoulent nécessairement avant que le minoritaire ne soit rétabli dans ses droits.
N’oublions pas enfin que les pactes extra statutaires peuvent offrir une protection intéressante ou minoritaire. Encore faut-il que les tiers ne puissent pas prétendre ignorer leur existence : ils seraient sinon des tiers de bonne foi. Encore faut-il également impérativement démontrer avoir eu l’intention de se prévaloir des stipulations du pacte, ce qui est beaucoup plus difficile.
C’est la raison pour laquelle ces pactes n’ont d’efficacité que si des dispositifs de mise en œuvre suffisamment précis imposent l’intervention d’un tiers, garant du pacte, disposant d’un pouvoir de blocage des opérations qui seraient tentées en fraude des droits des signataires du pacte.
A défaut, l’actionnaire minoritaire n’aura plus qu’à jurer, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendra plus…